Confinement, liberté et résilience

Il y a quelques jours, ma coloc me disait qu’elle avait commencé à tenir un journal de bord sur le confinement, parce que nous vivons une période historique. Alors je me suis demandé si je devais en faire de même, car en réalité, pour moi, le confinement, que par ailleurs je vis à Edimbourg, ne me prive pas plus de libertés que d’habitude. Bizarrement, j’ai même l’impression que le monde entier est soumis aux mêmes limitations que celles avec lesquelles je vis en permanence.


Alors loin de moi l’idée de m’apitoyer, ou de revendiquer des droits que la société semble incapable de me fournir, mais j’ai pensé qu’écrire un peu sur notre capacité de résilience ne ferait pas de mal.

Cet article n’a pas vocation à polémiquer sur la finalité du confinement en tant que décision politique, car pour cela, il suffit d’allumer la télé, mais plutôt de la façon dont les gens ont tendance à subir ces restrictions. Peu à peu, les rues se sont vidées, les commerces non essentiels ont fermé et des familles éparpillées à droite et à gauche se sont tout à coup retrouvées calfeutrées ensemble, par la force des choses.

De nombreuses personnes ne cessent de se plaindre du confinement, alors qu’elles ne subissent ni deuil, ni chômage, ni endettement. Il a suffi de devoir brutalement rompre avec ses habitudes, s’isoler, casser le rythme d’un quotidien tumultueux pour que les revendications libertaires s’élèvent comme des instruments désaccordés, tandis que les plus optimistes attendent la libération pour revivre. En quelques jours, la spontanéité d’une sortie entre amis, d’un restaurant en terrasse, d’une séance shopping, d’un verre entre collègues, est devenue un lointain souvenir, un inaccessible Eldorado.

Alors moi, dès l’instant où j’ai su qu’on allait être confiné, et que j’ai vu les gens dévaliser les magasins (il faut croire que le corona a au moins pour effet de réduire les intolérances au gluten), j’ai eu peur. Comment allais-je supporter la mauvaise humeur des gens, à propos de choses que je vis au quotidien ? Et bien loin l’idée de venir me plaindre à mon tour, et encore moins de faire pleurer dans les chaumières. Il est simplement temps de faire tomber les masques ! Quoique, pour ma part, je vais garder le mien encore un peu car difficile de respecter les distances de sécurité Covid-19 quand on ne voit pas. Et les gants, pas top du tout comme illustré ici. Bref, je divague.

La vérité, c’est que de mon côté, si je me réveille avec l’envie de faire un footing matinal, comme c’est souvent le cas, je ne le peux pas car j’ai besoin d’un guide pour pratiquer la course à pieds. Il me faut donc programmer la séance quelques jours à l’avance, en fonction des disponibilités de l’autre personne. Si j’ai un samedi de libre et que je veux en profiter pour faire du shopping, je ne le peux pas. Là, encore, il me faut avoir planifié l’expédition bien au préalable, pour pouvoir être sûre qu’une personne proche de moi, qui connaisse bien mes goûts, soit libre pour m’accompagner. Et si tout simplement, j’ai envie de me balader pour profiter du soleil, il m’arrive de renoncer par fatigue, cette flemme d’affronter la ville bondée, les gens qui me posent des questions stupides ou qui caressent mon chien alors qu’il est au travail, la gestion des transports en commun pour me rendre à bon port. Quant au voyage, ma raison de vivre, je ne vous explique même pas le degré d’anticipation et d’adaptation qu’il me faut déployer. J’ai parcouru les plus beaux pays du monde, sans jamais pouvoir, par exemple, marcher sur une plage seule, pour me vider l’esprit.

Mais toujours et encore, tout le monde semble avoir de bonnes raisons de ronchonner. Les académiciens, par exemple, ont fait du bruit lors de la fermeture des bibliothèques. En effet, pendant ces quelques semaines, ils ne pourront plus avancer sur leurs travaux de recherches. Mais savent-ils que sans la vue, toutes les bibliothèques du monde me sont inaccessibles, et que j’ai obtenu une licence, deux masters et que j’ai réussi le concours du barreau dans ces conditions ? Et il y a des milliers de personnes dans le même cas. De même, les étudiants protestent contre le maintien des examens car ils ne sont pas dans des conditions optimales. Mais alors pourquoi personne ne se plaignait quand lors de mes études certains profs oubliaient de décrire les PowerPoint ou de m’envoyer les documents sous format numérique afin que je puisse réviser comme toute autre personne ? Et lorsque je rate mes RDV parce que le Uber refuse de me prendre à cause de mon chien guide, n’est-ce pas là aussi une atteinte à ma liberté de mouvement, qui passe incognito ? Et la liste est longue.

Et pourtant, cette période me montre à quel point je suis chanceuse et résiliente. Car non seulement je ne subis pas le confinement, mes journées sont toujours aussi palpitantes, et malgré toutes les limitations que j’ai évoquées, j’ai fait tant de choses, des choses que bien d’autres trouvent difficiles. Étant d’un naturel borné, je n’écoute jamais les gens qui affirment que ceci ou cela est impossible pour moi, et lorsque j’ai une idée en tête, je fonce, et je réfléchis ensuite. Là où les autres reculent ou paniquent, mon organisme passe en mode compensatoire sans même que je m’en aperçoive. Et c’est ce qu’il s’est passé pour le confinement.

Alors en observant le bouleversement que le confinement a eu sur les gens, je me sens riche, riche d’avoir développé une capacité d’adaptation à toute épreuve, d’avoir appris à gérer mes frustrations et à en retirer du positif, d’avoir effectué un travail d’introspection qui m’a menée directement à l’essentiel.

Je n’ai pas eu besoin d’attendre une situation apocalyptique pour comprendre la valeur de mes amis, de la vie, pour réaliser mes rêves, et pour éviter de gâcher mon temps dans l’inutile. Et il ne tient qu’à vous d’en faire de même, si toutefois vous en sortez indemne.

Last but not least : j’invite le lecteur à ne pas tirer de conclusions hâtives sur mon message. Je ne détiens pas le monopole du confinement, et par conséquent, mon interprétation des récents évènements m’est exclusive. De nombreuses personnes déficientes visuelles ont vu leur indépendance drastiquement réduite par la situation et sont actuellement confrontées à de grandes difficultés auxquelles je ferais face moi aussi si je vivais seule et si je ne m’étais pas fait de super amis dans cette belle ville médiévale qu’est Edimbourg !

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Güler Koca

Née dans la région lyonnaise en 1990 et issue de parents turcs, Güler Koca est diplomée en droit international et en résolution de conflits. Afin de transformer ses connaissances théoriques en pratique, elle a vécu au Proche-Orient, entre autres régions géographiques. Ses périples autour du monde et sa double-culture alimentent sa plume, puisque l’ailleurs est parsemé de coffres forts sociaux inestimables. Elle emmène volontiers le lecteur à la découverte de ces trésors à travers son écriture.

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Manuela - 04/12/2020

Voilà un article à lire et à partager!!!!

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LANDRY - 04/12/2020

Bonjour Güler
Nous nous sommes croisés en randonnée avec GTA Handic Alp et j ai gardé un très bon souvenir de ton optimisme, de ta détermination.
Oui nous sommes confinés ici avec sorties limitées et avec autorisation. Mais si C est la seule épreuve de notre vie(me disait un ami ce matin), ce ne sera pas si grave même deux mois sans pouvoir aller comme l on veut, nous n en apprécierons que plus notre future liberté de mouvement. Et toi oui le co finement quelque part tu le vivais plus ou moins déjà mais avec ta force de caractère tu as soulevé des montagnes, tes études t’es voyages et aujourd hui ta vie en Ecosse. Tu reviendras sur Lyon un JOUR ?
MICHEL DE GTA

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    Güler Koca - 04/13/2020

    Cher Michel,

    Oui, comment oublier GTA et toutes les personnes merveilleuses qu’on y rencontre ! Et bien sûr, on se reverra, car je dois dire que la haute montagne me manque beaucoup. Et comme dit ton ami avec raison, nous en apprécierons que plus. Je suis en Écosse jusqu’en juillet, pour bosser sur un projet social. Mais dès mon retour, je serai parmi vous pour grimper de nouveaux sommets.

    À très bientôt donc.

    Güler

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