Détenu de façon arbitraire depuis près de 40 ans
Plaidoirie écrite
Georges Ibrahim Abdallah : celui que l’on nomme souvent « le plus vieux prisonnier politique d’Europe ». C’est cet homme de 71 ans enfermé depuis plus de la moitié de sa vie dans une cellule de Lannemezan dans le sud de la France, et qui a perdu espoir de revoir un jour le jour.
Le Conseil Constitutionnel et la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) l’ont dit : Tout Homme doit garder une perspective d’être libéré, en ayant par exemple, la possibilité de demander des aménagements de peine… En droit français, M Abdallah est libérable depuis le siècle dernier et depuis, il a déposé une dizaine de demandes de libération conditionnelle. En vain.
Le sort expiatoire de M Georges Ibrahim Abdallah a été scellé près de 40 ans plus tôt par une Machine Infernale qui lui a collé l’étiquette de terroriste à l’issue d’un procès inéquitable.
Issu d’une famille chrétienne maronite, Georges Ibrahim Abdallah est né au milieu du siècle dernier dans le nord du Liban. Elevé sous l’autorité d’un père militaire, il décide de ne pas suivre cette voie et devient professeur des collèges. Il est muté à Beyrouth où une brillante carrière se profile. Mais, alors qu’il a 31 ans et des rêves plein la tête, la capitale du pays du cèdre est prise d’assaut par Israël et M Abdallah est gravement blessé. Tout n’est plus que bombardements, décapitations et prises d’otage. Vingt mille palestiniens et libanais perdent la vie en trois mois à peine. Les camps de réfugiés de palestiniens déracinés sur fond de lutte, de résistance et de sacrifices façonnent alors la conscience politique de Georges Ibrahim Abdallah. Il sympathise avec les milieux pro-palestiniens, à l’époque plus imprégnés de marxisme que de nationalisme. Puis il se rapproche des Fractions Armées Révolutionnaires Libanaises (FARL), un groupe cherchant à porter en Europe la guerre subie au Liban et qu’il aurait contribué à faire naître.
C’est au début des années 80 que Georges Ibrahim Abdallah est arrêté à Lyon pour détention de faux papiers d’identité et qu’il est condamné à 4 ans de prison. Quatre ans de prison, et pourtant, lorsque la porte de sa cellule se referme sur lui, M Abdallah ignore qu’il se trouve aux confins d’une détention éternelle. Il est accusé de complicité dans l’assassinat de deux diplomates en poste à Paris, plus précisément, un responsable du Mossad israélien et un attaché-militaire étasunien. Les FARL sont soupçonnés d’être derrière ces actes et Georges Ibrahim Abdallah est propulsé au rang de bouc émissaire. Des armes viennent d’être retrouvées dans un appartement dont il paie le loyer. Dans l’esprit des enquêteurs, aucun doute possible, ce sont les armes du crime ! Et pourtant, pas moins de 5 ans se sont écoulés entre cette trouvaille et les assassinats des deux diplomates.
Or, tandis que M Abdallah attend son procès, la capitale française est ensanglantée par une vague d’attentats à la bombe directement contre des civils. En l’absence de toute piste solide, le nom de Georges Ibrahim Abdallah est jeté en pâture aux médias qui attribuent ces évènements aux FARL. Depuis sa cellule, M Abdallah serait le commanditaire de ces attentats tandis que ses frères, des hommes de main ayant exécuté les faits. Des citoyens terrorisés auraient aperçus les frères d’Abdallah sur les lieux des attentats.
Après tout, tous les barbus ne se ressemblent-ils pas un peu ? En réalité, rares sont ceux qui connaissent assez bien les FARL pour savoir qu’elles ne s’attaquent pas à la population civile et qu’elles ne visent pas à provoquer la terreur parmi celle-ci. Leur lutte est bien plus ciblée.
C’est dans ce contexte qu’a lieu le procès de M Abdallah poursuivi pour complicité dans les assassinats des deux militaires. Déjà, l’opinion publique l’a jugé coupable des attentats massacres qui ont frappé Paris. Et, malgré qu’aucune preuve ne permet de dire que M Abdallah est l’auteur des assassinats des deux militaires et que le Procureur de la République requiert 10 ans de prison contre lui, la Cour condamne M Abdallah à perpétuité.
Quelques mois plus tard, il s’avère que M Mazurier, l’avocat de M Abdallah, livrait l’intégralité des échanges qu’il avait avec son client aux services secrets français. Peut-on imaginer pareille opprobre, pareille offense portée à l’encontre des Droits de la Défense ?
Ainsi, à la veille du nouveau millénaire, M Abdallah apprend qu’il est libérable sous condition, après 15 ans d’incarcération. Par deux fois, soit en 2003 et en 2013, le Tribunal d’Application des Peines accèdera à sa demande de libération conditionnelle. A chaque fois, le parquet fera appel à la demande de l’ambassadeur des Etats-Unis en France. La première fois, le parquet obtiendra gain de cause. La seconde, la Cour d’appel confirmera la mise en liberté de M Abdallah.
Au bout de 30 ans de détention, le glas de la libération aurait-il sonné ? La libération de M Abdallah n’est désormais suspendue qu’à un fil, c’est-à-dire à la signature d’un arrêté d’expulsion, une formalité administrative nécessaire puisqu’il n’a pas la nationalité française. Mais c’est alors au tour D’Hilary Clinton en personne de demander à la France de ne pas libérer « le terroriste Georges Ibrahim Abdallah ». Résultat : le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls ne signera jamais cet arrêté d’expulsion tandis que la famille de M Abdallah est en train de se rendre à l’aéroport de Beyrouth pour l’accueillir.
En l’état, la Cour de cassation déclare la demande de M Abdallah irrecevable.
N’est-ce point l’Art. 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) qui expose que « Toute société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ?
Quelques mois après l’arrêt de la Cour de cassation, le conseil de M Abdallah, l’honorable M Vergès s’éteint, lui qui disait de son client qu’il était celui qu’il admirait le plus pour sa fidélité et sa ténacité envers ses idées politiques. Car oui, si M Abdallah ne reconnaît pas les faits qui lui sont reprochés, il n’en demeure pas moins un homme fidèle à son soutien aux peuples opprimés.
En 2016, alors qu’il entame sa 32e année de détention, M Abdallah essuie son dixième avis négatif à une libération conditionnelle et demande à son avocat de cesser définitivement de soumettre d’autres demandes. N’est-ce pas là la preuve ultime qu’il n’a plus espoir d’être un jour libéré ? N’est-ce pas là la marque d’un traitement inhumain et dégradant aux yeux de la CEDH ?
Il n’y a pourtant pas si longtemps, n’est-ce pas à Maurice Papon que la justice a accordé le droit de finir sa vie chez lui ?
Je m’interroge sur toutes les accusations au conditionnel qui poursuivent M Abdallah et sur le fondement juridique qui place les souhaits des diplomates étasuniens au-dessus de notre Constitution dans la hiérarchie des normes ?
Rappelons que pour décider de l’octroi ou du refus d’une libération conditionnelle, les juridictions de l’application des peines doivent tenir compte non pas des gesticulations diplomatiques mais belle-et-bien des efforts de réinsertion sociale fournis par le condamné, ainsi que de son comportement, et de son projet de sortie. En 37 ans de détention, M Abdallah n’a jamais causé de troubles à ses geôliers.
Le pays du Cèdre a affirmé depuis longtemps son souhait d’accueillir M Abdallah sur sa terre natale. Il est temps de demander à la France de faire cesser cette détention arbitraire doublée d’un traitement inhumain et dégradant, car sinon, à quoi sert-il de promouvoir un droit à la dignité et à l’espoir ?