La cécité, un formidable filtre social

Dans cet article, j’aimerais démontrer que même si la cécité ne constitue qu’une infime partie de mon identité, elle me permet d’opérer une distillation humaine des plus précieuses. Quand on saute d’un pays à l’autre comme je le fais, c’est plutôt un avantage. J’ai besoin de pouvoir compter sur les gens autant qu’ils peuvent compter sur moi.

Au premier abord, mes propos peuvent sembler contradictoires, puisque j’ai présenté le fait que ma cécité ne soit qu’une parcelle de mon être comme une évidence. Et j’ai affirmé, juste après, que cette infime partie de moi-même joue un rôle déterminant dans mes relations sociales. Tout ça peut avoir l’air contradictoire, alors, je m’explique.

Je ne compte plus le nombre de personnes qui m’abordent dans la rue ou dans les transports en commun et qui me posent, de but en blanc, une question sur ma cécité. Celle-ci ne se voit pas du tout sur mon visage, mais je me déplace avec un chien guide, ou une canne blanche, ce qui apparemment, n’échappe pas à certains.

La question qui revient le plus est de savoir si je suis totalement non voyante ou si je vois quand même un peu. Parfois, d’autres croient bon d’ajouter que même si je ne me vois pas, je suis très attirante. En dehors du fait que même au XXIe siècle, certaines personnes pensent toujours que Handicap et Attirance sont incompatibles, d’autres n’ont même pas la présence d’esprit de se dire qu’au cours de cette même journée, la question sur mon degré de vision m’a peut-être déjà été posée 30 fois. Leur curiosité leur ôte toute possibilité d’empathie et pour eux ma cécité constitue ma principale caractéristique.

Du coup, quand une personne venue m’aider à traverser une rue commence d’emblée à me poser le genre de questions citées plus haut, je me demande ce qui l’autorise à réduire mon identité en bouillie. Je considère qu’il est très, très malsain de se focaliser sur ces dixièmes en moins, simplement parce que cette différence est mise en évidence, ce qui donne une bonne excuse aux médiocres et aux curieux, et je refuse d’en être le cobaye.

Personne n’a le droit de veto sur mon identité.

Ainsi, la façon qu’ont les gens de se comporter avec moi en dit long sur leur état d’esprit. Lorsqu’ils ne voient pas la cécité et restent naturels sans même faire d’efforts, c’est bon signe. Cela voudra dire que j’ai affaire à des gens qui aiment s’aventurer dans le monde intérieur d’autrui et qui n’ont pas, ou très peu de préjugés. Et sauf exception, c’est dans les premières secondes que tout se joue.

J’ai constaté que les gens qui ne se focalisent pas sur ma cécité sont souvent à l’écoute d’autrui, plus compréhensifs, et aiment donner et recevoir plus aisément. Ma cécité opère donc un tri sans merci, et cela me permet notamment lors de mes voyages, mais également dans mon quotidien, d’écarter le superficiel et de rencontrer la crème de la crème humaine.

Finalement, on peut se demander d’une part si ce filtre social fonctionne pour tout le monde, et d’autre part s’il est une bonne chose ou non…

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Güler Koca

Née dans la région lyonnaise en 1990 et issue de parents turcs, Güler Koca est diplomée en droit international et en résolution de conflits. Afin de transformer ses connaissances théoriques en pratique, elle a vécu au Proche-Orient, entre autres régions géographiques. Ses périples autour du monde et sa double-culture alimentent sa plume, puisque l’ailleurs est parsemé de coffres forts sociaux inestimables. Elle emmène volontiers le lecteur à la découverte de ces trésors à travers son écriture.

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Valerie Pascal - 06/30/2020

Bonjour Guler, ton article est très bien ficelé comme d’habitude mais pour discuter du fond je suis un peu choquée. Ton avis est très réducteur et mets les gens dans des cases ce qui est très dommage. Je pense que lorsque quelqu’un aborde une autre personne en général, il va essayer d’engager la conversation sur le premier thème qui va leur être permis de partager. Donc je pense qu’en fait selon où et comment tu rencontres les gens les thèmes sont différents. Par ensemble lorsque tu es arrivée au club de course à pieds la première chose dont on a parlé était le sport dans ta vie, si tu rencontres quelqu’un à la bibliothèque il va te parler immédiatement de tes goûts littéraires et inversement si tu rencontres quelqu’un pour la première fois et qu’il est amené à te faire traverser une route ou à te guider jusqu’à un point B évidemment que la première chose qu’il va te parler c’est ta cécité. Le premier thème abordé avec une personne est toujours compliqué à trouver et souvent même sans cécité on a tendance à dire oh bin lui il m’a abordé comme un bolos, il est inintéressant. Mais en fait comment trouver un thème profond quand tu ne connais pas la personne…ta cécité est donc juste un moyen d’aborder un Premier thème. Essaye de faire le point sur les différentes rencontres que tu as faites et comment tu les as faites et tu verras que le thème de ta cécité est abordé uniquement quand rien d’autre ne saute au yeux (si je peux me permettre l’expression) sur ta personnalité intérieure. A très vite Guler, hâte de te revoir et que tu nous racontes ta dernière expérience. Bises.

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    Güler Koca - 06/30/2020

    Bonjour Valérie,

    Merci pour ton avis. Où là là, mais tu es déchaînée dit-donc ! Je me disais, en publiant cet article, que tout le monde ne serait pas d’accord, et les commentaires sont les bienvenus, même s’ils ne vont pas dans mon sens, tant qu’ils restent respectueux et constructifs.
    mais très sincèrement, je ne suis pas d’accord. Si une personne m’adresse la parole dans la rue, il y a de grandes chances qu’elle ne me connaisse pas et qu’elle ne risque pas de me croiser de nouveau, sauf bien sûr si c’est un endroit où je passe régulièrement. Du coup, si elle me demande si je suis déficiente visuelle depuis ma naissance par exemple, qui est une question assez récurrente, je suis désolée, mais non, ce n’est pas normal. En quoi cette information l’aide-t-elle à mieux m’indiquer l’adresse que je viens de lui demander ?
    Après, si c’est une personne que je rencontre à une conférence par exemple, cela veut dire qu’on va passer plus de temps ensemble, mais là aussi cette même question c’est de la curiosité médiocre. Ce qui par contre serait une marque d’ouverture d’esprit c’est que selon moi, cette personne me demande si j’ai besoin qu’elle me lise les documents distribués à la conférence, où si mon chien a besoin d’eau, où un truc du genre. Parce que là ça a un intérêt direct et ce n’est pas de la curiosité mal placée. Et après oui, ça peut ouvrir sur d’autres sujets de conversations, si la personne et moi en avons envie.

    Mais comparer la cécité à la course à pied ne me paraît pas opportun, car la course à pied est une passion, une activité que je choisis de pratiquer, d’arrêter, de reprendre, etc. La cécité est une déficience visuelle, tout simplement. Donc si c’est ça qui saute aux yeux chez certaines personnes, et qui en plus les autorise à malmener mon idendité simplement parce que bien souvent, elles font une projection personnelle sur le fait de ne pas voir et que cela leur fait peur, ce n’est pas mon problème. Je n’ai nullement envie que celles-ci fassent partie de mon cercle social. Cet article se base sur une expérience de 10 ans de voyage en solitaire plutôt que sur des stéréotypes. Cela ne signifie pas qu’une personne devient mon amie sur cette simple base, mais au moins, ça permet de faire un bon tri.

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Manon - 07/02/2020

Coucou ! Un article toujours bien écrit comme d’habitude ! Je dois dire que je te rejoins tout à fait ! La cécité est un bon filtre Sociale ! Et comme tu le dis si bien, généralement, Si la personne passe au-delà du « handicap » C’est qu’elle sera ouverte à autrui !

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