Ce que ma plume doit au berceau de la nuit
Il est des nuits, serties d’étoiles, où les rêves et les émotions refoulés pendant le jour règnent en maitres absolus. Ces nuits où la plume ne craint ni tabou ni bienséance, ni secret ni retenue. Lorsque l’une d’elles s’annonce à l’horizon, la réalité me quitte peu à peu pour laisser place à l’infini.
« À ceux qui pensent encore que ces heures sont fugaces, détrompez-vous ! Mais alors, qu’ont-elles de si spécial ? »
Qu’ont-elles de si spécial, ces heures de la nuit où le téléphone ne sonne plus, où aucun mail ne vient importuner l’éclosion de nouvelles idées, où facebook fait une trève et où les conversations WhatsApp et les projets de voyage qu’elles resellent restent en suspend. Ces heures, elles n’ont tout simplement pas de prix. Quand une telle nuit s’annonce, l’univers est encore bien trop éveillé. Impossible de m’éclypser si tôt de la vie en société. Je tourne en rond dans l’appartement, je grignote dans la cuisine, je sors mon chien en prenant tout mon temps. J’attends que les portes cessent de grincer, que les éclats de voix s’évanouissent dans la nuit noire. Il y a beaucoup de vent, ce qui exacerbe mon besoin d’écrire. Un besoin pressant, irrépressible qui m’a prise aux tripes depuis quelques heures déjà. La créativité fait sa loi, et je n’ai plus qu’à lui obéir.
Au fur et à mesure que le voile de la nuit s’épaissit, le monde des possibles s’offre à moi, enivrant, entraînant, imposant. Ma poitrine bouillonne tant ma fibre artistique est chauffée à blanc, mes veines palpitent sous cette impulsion et un fourmillement familier court le long de mes doigts. Quelle chance que ce soit vendredi, car je sais que le marchand de sable n’osera pas me déranger. Pas tant que les images qui défilent sous mes paupières et les idées qui foisonnent dans mon esprit n’auront pas été couchées sur le papier. L’aube me surprendra bien trop vite, et seul l’aboutissement de mon travail formera mon salut. Alors, épuisée mais apaisée, je basculerai dans les bras de Morphée. Heureusement, demain, c’est samedi, et personne ne m’attendra au détour d’un mail, d’une deadline à tenir, ou d’un horaire à respecter. La nuit m’appartient toute entière.
Ma chambre se transforme en une gigantesque boîte de Pandore qui déverse son contenu par la fenêtre ouverte. La plume devient alors mon principal canal de communication, pour écrire ce que je ne dis jamais. Il y a ce qui s’écrit sur le vif, qui tient sa beauté et sa véracité dans la spontanéité, et ce qui au contraire doit arriver à maturation comme un gran cru remisé eau fin fond d’une cave. Les mots voltigent à l’écran, fusent et s’alignent gracieusement au gré de leur humeur. L’aube pointera bientôt le bout de son nez et la vie reprendra son court, jusqu’à la prochaine embuscade que me tendra ma créativité. Mais juste au moment où je me blottis sous ma couette, je réalise que j’ai omis d’ajouter un titre à mon article. Tant pis, la nuit porte conseil.
Pour que mon écriture reste authentique, je ne me censure jamais. Il faut que chacun puisse s’identifier à mes récits. La nuit est un berceau où se niche ma plume, pareil à un écrin de velours sombre contenant les pierreries d’une écriture à l’état brut. Ce n’est qu’au matin que le tout sera corrigé, épuré, habillé en vue de la publication.