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La parabole du bon Samaritain, une cérémonie pascale quelque peu déconcertante

Lors de mon dernier voyage en Palestine, la chose la plus extraordinaire qu’il m’a été donné de voir, a été sans nul doute la cérémonie pascale des Samaritains. C’est une communauté d’environ sept cents personnes dont la moitié vit à Holon, au sud de Tel-Aviv, et l’autre sur le Mont Garizim, une colline qui domine Naplouse. Les Samaritains se considèrent comme les véritables gardiens de la tradition mosaïque et estiment que les Juifs ont rompu avec la religion révélée par Moïse. Ils parlent et écrivent un hébreu ancien, qui diffère de celui des juifs.

Pendant quelques heures, je fus parachutée en 880 av. J.-C., là où se trouvait l’ancien temple de la Samarie, dans la capitale du Royaume d’Israël. J’étais sur le point d’assister au sacrifice de l’agneau pascal, tradition prescrite par Moïse lorsqu’il délivra ce peuple de l’esclavage d’Égypte.

Tant que Pharaon ne lui cédera pas, Iahvé déclencherait une série de catastrophes, la plus grande étant de tuer tous les premiers-nés de chaque famille égyptienne. Il demanda alors aux familles juives de tuer un agneau et de barbouiller leur porte avec le sang, pour savoir qui il devait épargner. Depuis, chaque famille doit préparer un agneau pour l’offrir en sacrifice, et les portes des maisons sont marquées du sang des animaux sacrifiés, en symbole de la protection divine.

Tout se déroula sur une grande esplanade entourée de murailles, selon un rituel bien précis. Au centre se dressait un autel. En guise de fours, des cavités de trois mètres de profondeur étaient creusées dans le sol. On apportait encore du bois en prévision de ce qui allait se passer. On avait déjà amené les agneaux innocents pour qu’un prêtre Samaritain puisse procéder à leur inspection. Chaque chef de famille possédait son animal.

Des enfants jouaient avec les agneaux et gambadaient un peu partout, tandis que l’endroit s’était rempli de centaines de gens venus assister à la célébration. Les Samaritains mâles et leurs fils étaient vêtus de grandes toges blanches, comme sous l’Empire Ottoman. Certains d’entre eux discutaient çà et là avec les invités.

Au coucher du soleil, les prêtres Samaritains, que l’on reconnaît à leur fez blanc et rouge, formèrent un cercle autour du site avant d’entamer des prières. Les hommes de la communauté les rejoignirent à l’unisson tout en s’alignant le long d’un petit canal dans lequel allait s’écouler le sang des bêtes.

Cela dura plusieurs heures, les chants se modulèrent, toujours rythmés et structurés. Ils sortaient par cascades saccadées et d’une voix unique, tantôt lents et mélancoliques, tantôt rapides et vivaces, sans la moindre décadence, comme si tout ce monde était spirituellement connecté. Après quoi, les chefs de famille empoignèrent leur mouton d’une main, tenant fermement leur couteau bien aiguisé pour l’occasion de l’autre.

Puis soudain, chacun d’eux reçut le signal pour égorger son agneau. Au bruit, rien n’indiquait qu’une cinquantaine de bêtes venait de se faire égorger. Elles ne bêlèrent pas, comme si elles savaient que leur sang était porteur de la vie. Les chants cessèrent.

Le sang des moutons, réservé à Iahvé (nom du créateur dans le judaïsme), lui fut offert en le faisant couler sur les parois du petit canal qui scintillait maintenant d’une lumière orangée, jetée par les flammes du feu qu’on avait allumée à son extrémité.

Chaque Samaritain trempa son pouce dans le sang, avant de se maculer le front, y laissant une petite trace empourprée, probablement pour recueillir la protection divine. Après s’être embrassés, les Samaritains saluèrent respectueusement les prêtres, avant de commencer à débarrasser les moutons de leur peau et de leurs entrailles.

Tout comme le sang, la graisse des moutons fut réservée à Iahvé. Elle brûlait sur l’autel tandis que la peau des moutons grillait sur l’un des cinq gros fours creusés à même le sol. Une odeur désagréable atteignait mes narines tandis qu’une intense fumée irritait ma gorge et taquinait probablement les yeux des visiteurs les plus proches.

L’odeur d’agneau grillé vint remplacer celle de peau carbonisée et de graisses brûlées, car chaque mouton fut embroché puis descendu à la verticale dans les fours, après que le feu ait laissé place à de la braise. Les fours furent refermés à l’aide de grilles et de bois. Les brochettes géantes seraient consommées en famille au cours du repas pascal.

Ce qui m’a de très loin marquée le plus, c’est la déconcertante neutralité de la zone, exempte de toutes tensions politiques. Colons israéliens, membres du Hamas et du Fatah, juifs orthodoxes, réfugiés palestiniens, diplomates et ambassadeurs internationaux, représentants du gouvernement des deux pays… Tous se côtoyaient, riaient, échangeaient des paroles amicales et se serraient la pince comme si le conflit n’était qu’un effet de l’imagination.

Aussi proches d’Abu Mazen que de Netanyahou, disposant de la protection de l’un comme de l’autre, les Samaritains ont décidé de ne pas prendre parti. Ils ont su jouer sur les deux tableaux, avec toutefois un léger penchant pour l’État hébreu, pour ainsi jouir de sa suprématie. On peut se demander si leur priorité est d’être un pont entre les deux peuples, ou d’assurer la survie et les intérêts de leur communauté avant tout. C’est de très loin ceux qui s’en sortent le mieux dans la confusion actuelle.

Bien loin d’être une simple célébration populaire, ceci reflète davantage la preuve tangible qu’au fond, tous les acteurs de ce conflit sont parfaitement capables de se trouver dans un espace réduit sans s’autodétruire. Il y avait quelque chose de surnaturel à les voir là, tous réunis, et de dépitant à l’idée qu’une fois hors de cette bulle, les hostilités reprendraient.

Güler Koca

Née dans la région lyonnaise en 1990 et issue de parents turcs, Güler Koca est diplomée en droit international et en résolution de conflits. Afin de transformer ses connaissances théoriques en pratique, elle a vécu au Proche-Orient, entre autres régions géographiques. Ses périples autour du monde et sa double-culture alimentent sa plume, puisque l’ailleurs est parsemé de coffres forts sociaux inestimables. Elle emmène volontiers le lecteur à la découverte de ces trésors à travers son écriture.

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