Dans un monde sans pandémie, j’aurais posté cet article depuis Tokyo. Au lieu de quoi, me voilà à la fenêtre de mon studio lyonnais, une tasse de café bien corsé à la main. Il pleut des cordes et ça me fait penser que mon séjour de 4 mois au Japon est tombé à l’eau. À la place, je viens de signer mon premier contrat en tant que consultante et le client n’est nul autre que l’Agence du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies.
Alors comme d’hab, je me sens envahie par mes doutes, décidément ils sont vraiment assidus ceux-là, et je me dis que je ne suis pas à la hauteur, pas légitime, pas compétente, etc. Je m’interroge sur la posture à adopter quand on est recruté par une organisation internationale en tant que consultant sur un projet d’envergure mondiale, et si cela veut dire que l’expertise qu’on propose n’existe pas en interne.
Faut-il faire montre d’un aplomb à toute épreuve, trouver des solutions imparables à tous leurs problèmes, avoir toutes les capacités requises pour mener la mission à bien ? Quelle est la meilleure posture à adopter pour qu’ils aient confiance en mes capacités ? Pour me réconforter, j’avale une autre gorgée de café et je réalise que s’ils m’ont choisie, moi, c’est qu’ils sont déjà censés être convaincus de tout cela, et du coup, j’ai du mal à respirer. Je sens la peur me ronger les entrailles… Suis-je prête ?
Alors que je traverse l’aéroport d’Édimbourg en sens inverse, je sens la réalité des 180 derniers jours s’estomper un peu plus à chaque pas. J’en ai la gorge serrée et les larmes aux yeux, comme lors d’une rupture amoureuse. Je suis le seul témoin de mon expérience, le seul pont entre l’univers que je m’apprête à regagner et celui que j’ai bâti de mes mains.
Parce qu’une fois de retour en France, il me sera impossible de restituer fidèlement ce que j’ai vécu sans accuser une perte immense. J’aurai beau montrer le peu de photos que j’ai gardées, expliquer mon projet, raconter des anecdotes, révéler comment je me suis retrouvée confinée pendant des semaines avec une personne que je ne connaissais pas avant de venir, ce ne sera qu’une bien piètre restitution de l’intensité de l’expérience que je viens de m’injecter. Loin d’un simple coup de blouse à l’idée de rentrer de vacances passées sur une île paradisiaque, ce que je ressens va bien au-delà…